Lettre d'information 2024/2
Introduction
J’ai le plaisir de vous adresser la lettre d’information estivale du Tribunal. Les mois qui se sont écoulés depuis notre dernière lettre d’information ont été marqués par une activité intense, qui a abouti à la rédaction de l’avis consultatif dans la Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, rendu le 21 mai, et au prononcé, le 27 juillet, de l’ordonnance dans l’Affaire du « Zheng He » (Luxembourg c. Mexique), mesures conservatoires.
Le tout dernier avis consultatif du Tribunal a suscité beaucoup de débats. Pour ma part, j’estime qu’il est crucial de souligner que le Tribunal a dû « naviguer » dans un contexte scientifique éminemment complexe et examiner une multitude d’autres règles de droit international pertinentes pour l’examen de la requête dont il était saisi. Les travaux accomplis dans cette affaire démontrent la capacité du Tribunal à traiter des différends et des questions juridiques complexes qui pourront se présenter à l’avenir. Je crois que le Tribunal a effectivement fourni un guide complet sur les obligations spécifiques incombant aux États Parties en vertu de la Convention, qui leur sera très utile pour affronter les défis considérables posés par le changement climatique.
Outre nos activités judiciaires, nos programmes de renforcement des capacités fonctionnent à plein régime, ainsi que vous le verrez en lisant la suite de cette lettre d’information. Les stagiaires et les boursiers présents au Tribunal cet été ont été récemment rejoints par un groupe d’environ 40 participants à l’Académie d’été de la Fondation internationale du droit de la mer (IFLOS). Nous avons également eu le plaisir d’intégrer notre premier administrateur auxiliaire à nos équipes en juillet et nous réjouissons d’accueillir des conseillers juridiques des États d’Amérique latine et des Caraïbes au troisième atelier TIDM pour conseillers juridiques (parrainé par la République de Corée) en septembre. Nos programmes de formation, qui regroupent des personnes ayant des formations universitaires et des expériences très variées, sont conçus pour permettre aux générations actuelles et futures d’experts et de praticiens du droit d’avoir une bonne vue des travaux du Tribunal et de la procédure de règlement des différends instituée par le système de gouvernance des océans.
J’espère que vous prendrez plaisir à lire cette lettre d’information.
Très chaleureusement,
Tomas Heidar
Président
Affaires au Tribunal
Le Tribunal a rendu son avis consultatif unanime sur le changement climatique le 21 mai 2024.
Affaire No. 32 : Affaire du navire « Heroic Idun » (No. 2) (Îles Marshall/Guinée équatoriale)
Le mémoire des Îles Marshall et le contre-mémoire de la Guinée équatoriale ont été déposés dans les délais prescrits par l’ordonnance 2023/5 du Président de la Chambre spéciale, M. le juge Albert Hoffmann.
Après avoir recueilli les vues des parties, M. le juge Hoffmann a autorisé un second tour de procédure écrite par ordonnance 2024/2, et a fixé au 25 novembre 2024 la date de présentation de la réplique des Îles Marshall et au 24 mars 2025 la date de présentation de la duplique de la Guinée équatoriale.
Affaire No. 33 : Affaire du « Zheng He » (Luxembourg c. Mexique)
À la suite des audiences des 11 et 12 juillet 2024, le Tribunal a, le 27 juillet 2024, rendu son ordonnance sur les mesures conservatoires sollicitées. Dans son ordonnance, le Tribunal indique que les circonstances, telles qu’elles se présentent actuellement, ne sont pas de nature à exiger l’exercice de son pouvoir de prescrire des mesures conservatoires en vertu de l’article 290, paragraphe 1, de la Convention.
Entrevue avec M. le juge Konrad Marciniak (Pologne)
Vous avez prêté serment en tant que membre du Tribunal le 2 octobre 2023, avec cinq autres nouveaux juges. Quelles sont vos premières impressions et quels sont vos espoirs pour le Tribunal pendant les années à venir ?
Même si j’ai prêté serment assez récemment, je dois dire que je me sens plutôt « à la maison » au Tribunal. Cette impression est très certainement due au fait que j’ai effectué un stage au Tribunal voici quelques années et que j’ai toujours maintenu le contact avec lui depuis lors – par exemple, dans le cadre du Programme Nippon, qui m’a permis de donner régulièrement quelques cours. C’est pourquoi je me sens « en pays de connaissance » au Tribunal. Je connais un grand nombre de ses collaborateurs, et, finalement – le monde du droit de la mer n’étant, après tout, pas si grand que cela – j’ai également pu faire la connaissance d’un grand nombre des juges – ceux qui ont prêté serment avec moi comme ceux qui siégeaient déjà au Tribunal avant moi.
Certains stagiaires actuels m’ont récemment confié qu’ils ont été agréablement surpris de constater que le Tribunal est très accueillant et que tous ceux qui y travaillent sont d’un abord très agréable. Je ne peux qu’abonder dans leur sens (et je m’efforcerai pour ma part de contribuer à faire perdurer cette atmosphère de travail).
En ce qui concerne mes espoirs pour le Tribunal, je souhaite certainement qu’il puisse continuer à développer sa jurisprudence d’une manière stable et prévisible, afin d’être à la hauteur des espoirs et des attentes des générations passées, actuelles et futures. Il est clair que les premiers « clients » du Tribunal sont (essentiellement) des États, qui ont besoin de sentir qu’ils peuvent faire confiance au Tribunal pour régler des questions sensibles – qu’elles se rapportent aux frontières maritimes, à l’étendue de leurs droits souverains et de leur juridiction souveraine dans leurs zones maritimes ou à l’égard de leurs navires. Par ailleurs, des décisions comme l’avis consultatif récemment rendu à propos du changement climatique sont porteuses d’espoir car elles montrent que l’impact du Tribunal peut laisser une empreinte significative sur la communauté internationale, y compris, même indirectement, sur des personnes physiques et d’autres acteurs non étatiques.
Ayant joué un rôle actif en tant que délégué à la Conférence intergouvernementale sur un instrument international juridiquement contraignant se rapportant à la CNUDM et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, comment voyez-vous les prochaines étapes de l’accord lorsqu’il sera entré en vigueur ?
C’est vrai, il est rare de pouvoir assister à la fois au début et à la fin de grandes négociations internationales multilatérales. J’ai eu la chance d’assister et de participer à tout ce processus, depuis son démarrage jusqu’à l’adoption du texte de l’Accord BBNJ (comme on l’appelle fréquemment). Aujourd’hui, j’ai observé d’un point de vue « externe », mais avec grand intérêt, que la Commission préparatoire à l’entrée en vigueur de l’Accord BBNJ s’est déjà réunie pour faire avancer la 1re réunion de la Conférence des Parties (COP) à l’Accord. J’ai vu que d’autres réunions sont déjà prévues. Tout cela est de bon augure, car quiconque connaît les dispositions de l’Accord BBNJ sait que la première COP promet d’avoir un agenda très chargé, étant donné qu’elle devra adopter de nombreuses décisions cruciales. Ces préparatifs – dont on pourrait dire qu’ils font suite, dans une certaine mesure, au processus qui a suivi l’adoption de la CNUDM – sont donc extrêmement importants, à la fois pour des raisons de fond et, plus généralement, pour soutenir l’élan qui a été généré par l’adoption de l’Accord. Pour reprendre les mots célèbres de Mme Rena Lee lors de l’adoption du texte de l’Accord, « le navire est arrivé à bon port », mais il doit à présent reprendre la mer, afin d’obtenir le nombre nécessaire de ratifications (60) pour son entrée en vigueur et l’établissement de ses institutions et réglementations.
Il est peut-être prématuré à ce stade de spéculer sur la question de savoir si le Tribunal pourrait à l’avenir être saisi d’affaires liées à l’Accord BBNJ, mais je dirais toutefois ce qui suit. Premièrement, il est bon pour la gouvernance mondiale des océans que les mécanismes de règlement des différends de la CNUDM aient été généralement maintenus pour les besoins de l’Accord BBNJ. Parvenir à ce résultat n’était pas évident. Deuxièmement, j’ai vu que la compétence du Tribunal en matière consultative dans son ensemble a été confirmée de manière plus claire, puisque la COP sur l’Accord BBNJ peut décider de demander au Tribunal « un avis consultatif sur toute question juridique relative à la conformité au présent Accord d’une proposition dont elle est saisie concernant tout sujet relevant de sa compétence ». Lorsque l’Accord sera entré en vigueur, il appartiendra aux États et à la COP de décider si et comment utiliser ces voies juridiques.
Au vu de l’avis consultatif sur le changement climatique récemment rendu par le Tribunal, envisagez-vous que la compétence du Tribunal en matière consultative l’emporte à l’avenir sur sa compétence en matière contentieuse ?
Ici encore, je serais bien mal placé pour spéculer à propos des futures demandes d’avis consultatif qui seront présentées au Tribunal, mais je vais néanmoins tenter de répondre à votre question. En premier lieu, les avis consultatifs suscitent certainement un intérêt pratique (et universitaire) croissant, qu’ils soient demandés au TIDM ou à d’autres cours et tribunaux internationaux. En second lieu, ce mécanisme permet de formuler des questions juridiques relativement abstraites et de solliciter leur clarification en dehors du contexte d’un contentieux (bilatéral). En troisième lieu, je pense qu’il est de plus en plus reconnu qu’un avis consultatif peut contribuer de manière positive à la clarification et au développement du droit international sur une question donnée et, partant, mieux expliquer ce que dit la loi, quels sont les droits et obligations spécifiques des États, et donc accroître la prévisibilité des obligations légales applicables (tout en réduisant, à tout le moins dans une certaine mesure, le risque qu’un différend surgisse effectivement). Je pense que ces considérations valent pour les trois avis consultatifs que le Tribunal a rendus jusqu’à présent. En quatrième lieu, il est également reconnu – en soutenant parfois qu’il s’agit d’une pratique positive ou parfois d’une pratique douteuse – que les demandes d’avis consultatif font partie d’une stratégie judiciaire plus large (ou « lawfare » comme certains l’appellent). Quoi qu’il en soit, je pense que ceux qui posent des questions et ceux qui y répondent doivent être conscients du contexte global et savoir qu’il y a une limite à ce qu’une cour ou un tribunal international peut dire et faire ; que les principaux acteurs du droit international sont des États ; et que certains problèmes, en particulier ceux qui sont de nature mondiale, exigent une réponse concertée et appropriée.
Enfin, je souhaiterais juste souligner que, ainsi que je l’ai mentionné précédemment, l’Accord BBNJ a exprimé un vote de confiance à l’égard du Tribunal en reconnaissant sa compétence en matière consultative ; j’ajoute que les juges de Hambourg se tiendront prêts pour répondre en temps voulu, que ce soit en vertu de la CNUDM ou de l’Accord, à toutes les questions qui pourront se poser à propos du droit de la mer. Pour évoquer enfin un aspect inhérent à votre question, je dirai que « notre » domaine regorge de développements notables – concernant l’environnement, la biodiversité marine ou les fonds marins, pour n’en citer que quelques-uns – qui sont autant de sources de progrès potentiels à l’avenir.
La mer Baltique a été décrite comme l’espace maritime le plus fortement réglementé du monde, avec de multiples strates de gouvernance et de réglementation. Selon vos souvenirs du temps où vous avez travaillé au Ministère des affaires étrangères de Pologne, diriez-vous que ces strates interagissent bien – en conformité avec la CNUDM – ou qu’il y a une marge d’amélioration, en particulier en ce qui concerne la protection du milieu marin ?
C’est vrai, la mer Baltique est parfois décrite comme un millefeuille réglementaire, probablement composé de six strates au moins (droit international général, conventions régionales, droit de l’UE, lois nationales, règles locales et municipales et accords non juridiquement contraignants). On peut également ajouter que, sur les neuf États côtiers de la Baltique, tous sauf un sont membres de l’UE et de l’OTAN. Par ailleurs, le bassin versant de la Baltique couvre 14 États pour une population d’environ 100 millions d’habitants.
Ceci étant dit, je n’ai jamais considéré la mer Baltique comme un bassin maritime « surréglementé », et ce n’est pas non plus ce que j’ai constaté au cours de mon expérience pratique. Oui, il est vrai que beaucoup de réglementations sont en place (mais la plupart, à tout le moins en droit et en théorie, devraient bien fonctionner ensemble, puisqu’elles reposent à de nombreux égards sur des réglementations de l’UE ou leur sont conformes, et/ou ont été élaborées dans le cadre de l’HELCOM). Toutefois, on doit rappeler qu’au moins dans la perspective de la CNUDM, la Baltique doit être considérée comme une « mer fermée ou semi-fermée », de telle sorte que les États qui la bordent ont des obligations accrues de coopérer et de coordonner leurs activités, que ce soit directement ou par le biais d’une organisation régionale appropriée. Je crois que c’est ce qui se produit dans la région de la Baltique, et je ne dirais pas que c’est la multitude de réglementations et d’institutions qui contrecarre cet objectif, mais plutôt, comme toujours, la qualité de la coopération. Des objectifs politiques et/ou économiques opposés conduisent parfois à des tensions ou à des défis non résolus. On pourrait certainement inclure dans cette dernière catégorie, par exemple, la nécessité de réduire la pollution venant de la terre ou les moyens de traiter les munitions chimiques immergées.
Globalement, étant donné que la mer Baltique est relativement petite, qu’il n’existe aucune zone ne relevant pas de la juridiction nationale (tout le bassin étant couvert par des mers territoriales, des zones économiques exclusives et les plateaux continentaux d’États côtiers), et qu’il existe une demande accrue d’espace (en raison de projets énergétiques, d’activités de pêche, d’un transport maritime intense, etc.), la nécessité d’avoir une ou plusieurs plateformes solides de coopération ainsi qu’un cadre réglementaire robuste devient compréhensible.
Au fil des années, vous avez participé, notamment comme intervenant, à de nombreux programmes de renforcement des capacités, ateliers et conférences sur le droit de la mer. Quel conseil donneriez-vous aux jeunes générations d’étudiants en droit de la mer, en particulier ceux qui viennent d’Europe de l’est et qui souhaitent poursuivre une carrière dans ce domaine du droit international ?
Mon premier conseil serait de faire preuve d’audace, de ne pas avoir peur et de saisir ces occasions de participer à ces différents programmes. C’est peut-être une question culturelle, mais je pense que nous avons parfois trop tendance à considérer (à tort) que nous « n’y arriverons pas », qu’un cours dispensé est trop « avancé » pour nous ou que, pour toute autre raison, nous ne sommes « pas assez bons ». À en juger par mon expérience, c’est très souvent une erreur de penser cela. En outre, l’Europe de l’est est souvent sous-représentée dans de nombreux forums, ce qui peut être un avantage pour nous, en augmentant nos chances d’obtenir ce que nous souhaitons.
La question du financement demeure néanmoins un problème. Un grand nombre des étudiants ou des professionnels débutants d’Europe de l’est, compétents et remarquables, auront besoin d’une certaine forme de soutien ou d’assistance, ce qui est parfois problématique. Tel est particulièrement le cas des pays de ce bloc qui sont étiquetés comme des « pays développés ». Je comprends bien la nécessité de ces distinctions mais reconnais simultanément qu’elles sont quelque peu artificielles et ne reflètent pas la réalité « sur le terrain ».
Globalement, j’encouragerais fortement mes collègues d’Europe de l’est à ne pas hésiter et à poursuivre leurs objectifs et leurs carrières, y compris en adoptant une approche volontariste et en participant à des programmes de renforcement des capacités, à des ateliers et à des conférences. En matière de droit international, y compris de droit de la mer, cette participation permettra non seulement d’acquérir des connaissances et une expérience, mais également de nouer des relations inestimables et des amitiés qui favoriseront le développement personnel et professionnel.
Renforcement des capacités
Nos stagiaires sortants, M. Amédée Cloet (Belgique), M. John Saylay Singbae II (Libéria) et Mme Tajra Smajic (Bosnie-Herzégovine) ont présenté leurs projets de recherche avant leur départ en juin. Ces projets portaient sur les thèmes suivants : le rôle de la CNUDM dans la préservation de la biodiversité des zones côtières, les études d’impact environnemental dans le cadre de la CNUDM et de l’Accord BBNJ, et l’incidence de l’avis consultatif sur l’exploitation minière des fonds marins. Actuellement, M. Mahamat Annouar (Tchad), Mme Stephanie Prufer (Brésil), M. David Roucek (République tchèque) et M. Viet Tran (Viet Nam) sont attachés au Service juridique pour un stage d’été. Ces quatre stagiaires ont été rejoints par six boursiers, Mme Keneilwe Chakalisa (Botswana), M. Ibrahim Abdu Mohammed (Érythrée), Mme Anita Rayegani (Hongrie/Canada), M. Yousef Salah (Libye), M. Perumal Thulasidhass (Inde) et Mme Khawla Wakkaf (Syrie). Le dix-huitième programme TIDM-Nippon Foundation de renforcement des capacités et de formation sur le règlement des différends relevant de la CNUDM a commencé cette semaine pour ces six boursiers, qui ont rejoint environ 40 participants à la session 2024 de l’Académie d’été du TIDM, qui se tiendra au Tribunal du 28 juillet au 23 août 2024.
À la suite de deux ateliers particulièrement réussis qui ont été organisés pour les conseillers juridiques des ministères des affaires étrangères d’États du sud-est asiatique, des îles du Pacifique et de plusieurs pays d’Afrique, nous nous réjouissons d’accueillir des représentants des États d’Amérique latine et des Caraïbes au troisième atelier TIDM pour conseillers juridiques (parrainé par la République de Corée), qui se déroulera du 1er au 6 septembre 2024. Le Président Heidar, la Vice-Présidente Chadha, M. le juge Rhee et les quatre juges originaires de la région latino-américaine et caribéenne donneront des conférences et feront des présentations, aux côtés d’un ensemble d’universitaires et de praticiens experts du droit de la mer.
À la rencontre des anciens
Kimberley Lam, Cheffe du bureau des affaires maritimes et océaniques, ministère des Affaires étrangères, les Bahamas
Lorsque je suis entrée au Ministère des affaires étrangères en 2006, j’étais loin d’envisager que ma trajectoire professionnelle me conduirait là où je suis actuellement. Avec un master en analyse des conflits du King’s College de Londres et une licence en médiation des conflits internationaux et réconciliation de l’Université Brandeis, j’entrevoyais plutôt une carrière dans le domaine de la diplomatie et des affaires internationales.
En 2008, toutefois, j’ai été affectée à la Division des affaires juridiques de mon ministère, en plein milieu du projet sur les lignes de base archipélagiques du pays, que nous pilotions. C’est là que j’ai commencé mon voyage dans les affaires maritimes et océaniques. Ayant eu la grande chance d’être sélectionnée comme boursière dans le cadre du programme TIDM-Nippon 2009-2010, j’ai pu y acquérir les bases qui ont ensuite défini l’essentiel de ma carrière. Je me souviens avec émotion des journées passées à tracer des azimuts ambitieux dans le cadre de différends imaginaires portant sur la délimitation des frontières, dans le cadre de nos exercices de groupe à l’IFLOS.
Depuis lors, j’ai travaillé dans d’autres domaines que le droit de la mer, y compris dans d’autres services du Ministère des affaires étrangères, et j’ai occupé plusieurs postes à l’étranger. Ces expériences ont enrichi ma connaissance du multilatéralisme et du rôle que nous jouons en tant que diplomates. En 2016, je suis toutefois revenue au droit de la mer. Le Bureau des affaires maritimes et océaniques, que je dirige depuis 2018, est principalement responsable de coordonner les travaux du Comité national de délimitation maritime (National Maritime Delimitation Committee (MDC)), qui est un organe multisectoriel dont la mission est définie par la loi. En tant que membre du MDC, j’ai participé comme déléguée aux délimitations de la frontière maritime entre les Bahamas et la République de Cuba, que nous avons achevées en 2011, et je suis actuellement l’un des principaux négociateurs dans le cadre de nos discussions actuelles avec les États-Unis d’Amérique et les Îles Turques et Caïques, qui sont un territoire britannique d’outre-mer. Mes travaux portent notamment sur la délimitation des frontières maritimes, le plateau continental étendu et, plus largement, les politiques gouvernementales qui s’articulent autour de la CNUDM, de la gouvernance des océans, des accords maritimes bilatéraux et multilatéraux, sans oublier d’autres questions liées aux affaires maritimes et océaniques, en coordination avec les principales autorités nationales.
Bien entendu, les impacts du changement climatique sont au cœur de toutes ces considérations politiques, puisqu’ils ont affecté les pays en développement et en particulier les petits États insulaires dans une mesure disproportionnée. Face à cette réalité, il est clair qu’il faut s’intéresser en urgence aux questions posées par l’élévation du niveau de la mer dans les petits États insulaires en développement (PEID) et aux conséquences qui en découlent pour les zones maritimes et les frontières. Qu’arrivera-t-il lorsque nos points de base seront submergés ? Quelles seront les implications pour les zones maritimes qui ont été revendiquées ou doivent encore l’être ? Quid des frontières qui ont été tracées d’un commun accord ou doivent encore l’être ? Les débats d’experts juridiques, universitaires et scientifiques, y compris au sein de la Commission du droit international, sont certes riches d’informations, nécessaires et fondamentaux pour nous permettre de comprendre comment nous pourrons répondre à ces questions, mais je dirais qu’il ne s’agit pas de questions auxquelles il faut répondre pour les petits États insulaires en développement, mais auxquelles nous devons répondre. C’est pourquoi les Bahamas ont récemment organisé, conjointement avec le Gouvernement du Royaume du Danemark et l’Australian National Centre for Ocean Resources & Security (ANCORS), un atelier de renforcement des capacités axé sur les PEID des Caraïbes, afin de discuter précisément de ces questions. Il est absolument critique que nos voix aident à éclairer ce récit.
Venant d’une petite nation insulaire en développement, et dans ce contexte de changement climatique, j’ai suivi avec grand intérêt les décisions des tribunaux, et tout récemment celle qui a émané de la demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international (COSIS). Bien qu’il ne soit pas juridiquement contraignant, cet avis consultatif du TIDM nous permet de mieux comprendre ce qu’est la justice environnementale en droit international coutumier et en vertu de la CNUDM. Il s’agit d’une évolution bienvenue, qui nous permet d’améliorer notre compréhension commune de la CNUDM et contribue à la jurisprudence sur le changement climatique. Dans le même temps, toutefois, des pays comme les Bahamas, où sont immatriculés un très grand nombre de navires, doivent examiner cet avis d’un point de vue critique, car il soulève des questions à propos de la responsabilité de l’État du pavillon en matière de réduction des émissions dans le secteur du transport maritime, par exemple. Néanmoins, les PEID doivent s’appuyer sur cet avis et l’utiliser comme un outil afin de poursuivre la lutte contre le changement climatique.
Le 11 avril 2024, les Bahamas ont signé l’Accord se rapportant à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (l’« Accord BBNJ »). Ce fut un grand moment de fierté, car nous avions travaillé afin d’atteindre cet objectif depuis les premières Conférences intergouvernementales. J’ai pu participer à trois des Conférences intergouvernementales et suis actuellement l’un des points de contact pour les Bahamas au sein du groupe multi-parties prenantes CARICOM BBNJ. Je continue de participer aux travaux préparatoires menés dans le cadre de l’Accord BBNJ dans la perspective d’Océans 2025, et j’ai hâte de voir comment les petits États insulaires pourront continuer d’être une force positive dans l’arène multilatérale afin d’informer et d’orienter des politiques qui reconnaissent nos vulnérabilités uniques et les responsabilités de chaque État afin d’atteindre les objectifs de développement durable (ODD), en particulier l’ODD14.
Manifestations à venir
Le programme TIDM-Nippon Foundation de renforcement des capacités et de formation sur le règlement des différends relevant de la CNUDM a commencé le 15 juillet 2024.
L’Académie d’été IFLOS 2024 aura lieu du 28 juillet au 23 août 2024 et accueillera un événement public le 7 août 2024 sur la « Sécurité en mer ». Pour plus d’informations et pour vous inscrire, rendez-vous sur le site Web de IFLOS.
Le troisième atelier TIDM pour conseillers juridiques (parrainé par la République de Corée) se déroulera du 1er au 6 septembre 2024.
La cinquante-huitième session du Tribunal aura lieu du 9 au 20 septembre 2024.
Symposium de l'IFLOS : « 30th Anniversary of the Entry into Force of the United Nations Convention on the Law of the Sea: The ‘Constitution for the Oceans’ in Light of Emerging Challenges » organisé par l'IFLOS et l'Institut maritime de Corée, les 21 et 22 septembre 2024.