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Lettre d'information 2023/2

Lettre d'information 2023/2 - décembre 2023

Introduction

J’ai le plaisir de vous adresser aujourd’hui la lettre d’information du TIDM en qualité de nouveau Président du Tribunal. Soucieux de tenir nos lecteurs informés des toutes dernières activités du Tribunal, mes prédécesseurs ont décidé de publier régulièrement des lettres d’information et je suis heureux de perpétuer cette tradition. Cette lettre d’information me donne en effet l’occasion de revenir sur les mois particulièrement chargés qui viennent de s’écouler au Tribunal et, à titre plus personnel, de réfléchir sur la jurisprudence récente du Tribunal et de me projeter dans les trois prochaines années de ma présidence.

Comme vous le savez, en septembre le Tribunal a tenu des audiences relatives à la Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, qui ont réuni un grand nombre de participants. En effet, des exposés oraux y ont été présentés par 33 États Parties et 4 organisations intergouvernementales, dont la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international. Auparavant, dans le cadre de la procédure écrite, 31 États Parties et 8 organisations intergouvernementales avaient déposé des exposés écrits dans le délai imparti. Après l’expiration de ce délai, des exposés écrits ont en outre été reçus de trois autres États Parties et d’une organisation intergouvernementale. Je ne peux que reprendre les mots du juge Hoffmann, qui a présidé les audiences en l’affaire, en remerciant toutes les délégations pour la grande qualité de leurs exposés, et pour le professionnalisme et la courtoisie impeccables dont elles ont fait preuve pendant ces audiences. J’ajouterai que la grande diversité des intervenants venus du monde entier a fait forte impression. Le Tribunal a désormais entamé ses délibérations et rendra son avis consultatif en temps opportun.

La cinquante-sixième session administrative du Tribunal, à laquelle nous avons eu le plaisir d’accueillir six nouveaux juges, s’est ouverte immédiatement après les audiences. Avec les juges nouvellement élus, la distribution géographique au sein du Tribunal reste inchangée (Afrique, cinq ; Asie, cinq ; Amérique Latine et Caraïbes, quatre ; Europe orientale, trois ; Europe occidentale et autres États, quatre), mais l’équilibre entre les sexes s’en trouve renouvelé avec un total de 15 hommes et 6 femmes. Le Tribunal nouvellement constitué a eu pour première tâche, le 2 octobre 2023, d’élire le Président et le Vice-Président – et j’adresse ici mes félicitations à Mme la juge Neeru Chadha, première femme à être élue Vice-Présidente du Tribunal – et j’ai ensuite procédé à la reconstitution des chambres du Tribunal. Des informations sur la composition actuelle des différentes chambres du Tribunal sont disponibles sur le site Web du Tribunal.

Dans mon nouveau rôle de Président, j’ai déjà eu le plaisir de participer à plusieurs événements de haut niveau, de rencontrer des représentants gouvernementaux, de m’exprimer lors de conférences importantes et de donner cours à des étudiants. J’ai particulièrement apprécié de pouvoir m’adresser à l’Assemblée générale des Nations Unies début décembre et de rendre compte aux représentants des activités du Tribunal au cours de l’année écoulée. 

Dans l’ensemble, 2023 a été une année exaltante, marquée par des affaires sur la délimitation maritime, le changement climatique et l’immobilisation d’un navire avec son équipage. Ces questions témoignent de l’importance cruciale des travaux du Tribunal. En outre, la probabilité que d’autres affaires relatives au droit de la mer nous soient soumises, tout particulièrement à la lumière du nouvel Accord BBNJ, me renforce dans ma conviction que le Tribunal continuera de jouer un rôle essentiel ces prochaines années. 

En lisant cette lettre d’information, vous en apprendrez davantage sur mes réflexions concernant la jurisprudence récente du Tribunal et sur ce que l’avenir m’inspire.

Très chaleureusement,

Tomas Heidar
Président

 

Affaires au Tribunal

Affaire No. 31 : Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international (Demande d’avis consultatif soumise au Tribunal)

Les audiences publiques se sont achevées le 25 septembre 2023 et le Tribunal tient actuellement ses délibérations. Les exposés écrits, les comptes rendus et les archives des Webdiffusions sont disponibles dans leur intégralité sur le site Web du Tribunal.

Voir la page de l’affaire

Affaire No. 32 : Affaire du navire « Heroic Idun » (No. 2) (Îles Marshall/Guinée Équatoriale) 

Par ordonnance du 16 novembre 2023, le Président de la Chambre spéciale, M. le juge Albert Hoffmann, a reporté au 18 décembre 2023 la date d’expiration du délai pour la présentation du mémoire des Îles Marshall.

Composition du Tribunal

Le 14 juin 2023, la trente-troisième Réunion des États Parties à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer a élu sept juges. Le juge Heidar (Islande) a été réélu par les États Parties et six nouveaux juges ont été élus : Mme Frida María Armas Pfirter (Argentine), M. Hidehisa Horinouchi (Japon), M. Thembile Elphus Joyini (Afrique du Sud), M. Osman Keh Kamara (Sierra Leone), M. Konrad Jan Marciniak (Pologne) et M. Zha Hyoung Rhee (République de Corée). Les nouveaux juges ont prêté serment le 2 octobre 2023 et leur mandat s’achèvera en 2032.

Entretien avec le Président Heidar (Islande)

Vous êtes membre du Tribunal depuis 2014. Selon vous, quels sont les faits saillants des neuf dernières années ?

Il me semble que le Tribunal n’a cessé de gagner en importance, comme en témoignent l’envergure et la diversité des affaires qui lui sont soumises ces dernières années. À titre d’exemple, le Tribunal a désormais statué sur trois affaires de délimitation maritime et connaît actuellement sa troisième demande d’avis consultatif.

La fonction essentielle du Tribunal au regard de la Convention sur le droit de la mer est bien évidemment celle de régler les différends entre États relatifs à l’interprétation ou à l’application de la Convention. Toutefois, il arrive souvent que le Tribunal soit appelé à clarifier les dispositions de la Convention, au bénéfice non seulement des parties en litige mais également de la communauté internationale dans son ensemble. C’est pourquoi la contribution apportée par le Tribunal à cet égard est particulièrement importante.

Permettez-moi de citer quelques exemples récents où la jurisprudence du Tribunal a clarifié et, partant, développé le droit de la mer et le droit international connexe. L’arrêt du Tribunal dans l’Affaire du navire « Norstar » (Panama c. Italie) a fourni une occasion rare de clarifier la liberté de navigation consacrée à l’article 87 de la Convention. En particulier, le Tribunal s’est concentré sur la question de savoir quels actes seraient constitutifs d’une violation de la liberté de navigation. Dans son ordonnance en l’Affaire relative à l’immobilisation de trois navires militaires ukrainiens (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, le Tribunal s’est penché sur l’interprétation de l’expression « différends relatifs à des activités militaires », qui n’est pas définie dans la Convention. Ces différends peuvent échapper au règlement obligatoire des différends par le jeu de l’article 298 1) b) de la Convention. L’arrêt du 28 avril 2023 rendu par la Chambre spéciale du Tribunal dans le Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre Maurice et les Maldives dans l’océan Indien, comporte plusieurs contributions à la jurisprudence internationale. Premièrement, il s’agissait de la première affaire de délimitation maritime entre deux États archipels et la Chambre spéciale a ainsi eu une occasion unique de clarifier plusieurs caractéristiques du régime juridique de ces États. Deuxièmement, l’arrêt a traité un haut-fond découvrant, en l’occurrence le récif de Blenheim, comme une circonstance pertinente pour les besoins de la seconde étape de la méthode équidistance/circonstances pertinentes. Enfin, pour la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins, la Chambre spéciale a appliqué de manière méticuleuse le critère de l’incertitude substantielle défini pour la première fois par le Tribunal dans son arrêt de principe en l’affaire Bangladesh/Myanmar, tout en expliquant la logique sous-tendant son utilisation. Le dernier exemple issu de la jurisprudence récente du Tribunal est tiré de la première phase de l’affaire Maurice/Maldives, consacrée aux exceptions préliminaires soulevées par les Maldives, et se rapporte à une clarification juridique qui va au-delà du droit de la mer et concerne l’effet juridique des avis consultatifs rendus par la Cour internationale de Justice.

Tous ces exemples récents illustrent comment le Tribunal a contribué à la clarification du droit de la mer et du droit international connexe dans le cadre de sa compétence contentieuse, mais j’estime que les procédures consultatives s’y prêtent particulièrement bien. Dans ce contexte, j’ajoute que le Tribunal délibère actuellement sur la Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, et rendra son avis consultatif en temps opportun.

Vous êtes le dixième Président du Tribunal. À votre avis, quels sont les défis fondamentaux auxquels le droit de la mer est actuellement confronté et quelle contribution le Tribunal peut-il apporter afin de relever ces défis ?

La situation géopolitique actuelle fait que les juridictions internationales ont, à mon avis, un rôle particulièrement important à jouer pour promouvoir et défendre l’état de droit dans les relations internationales. Cela vaut bien évidemment aussi pour le Tribunal dans le domaine du droit de la mer. Plusieurs différends non résolus entre États existent actuellement dans ce domaine, dont de nombreux concernent la délimitation maritime. Si les parties à ces différends ne parviennent pas à les régler par la négociation, le Tribunal se tient prêt à les aider.

Le Tribunal a un statut unique, en tant qu’organe judiciaire spécialisé dans le droit de la mer. En sa qualité de gardien de la Convention sur le droit de la mer, le Tribunal a un rôle important à jouer pour que la Convention soit un instrument vivant capable de s’adapter aux nouveaux développements dans le domaine des océans et du droit de la mer. Parmi les développements récemment intervenus dans ce domaine, je citerai l’adoption de l’Accord se rapportant à la Convention et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, également appelé « Accord BBNJ ». De par son expertise et sa vaste expérience en matière de protection du milieu marin, j’ai la conviction que le Tribunal est une option précieuse pour un règlement fondé et efficace des différends relatifs à l’Accord BBNJ. Je tiens également à souligner que cet Accord renforce grandement le rôle du Tribunal en lui conférant une compétence consultative. Parmi les autres nouveaux défis en droit de la mer auxquels le Tribunal peut parfaitement répondre, je citerai le changement climatique, l’exploitation minière des fonds marins et les nouvelles technologies du transport maritime, notamment les navires autonomes.  

Vous avez participé à de nombreux programmes de renforcement des capacités organisés par le Tribunal ces dernières années. Les ateliers pour conseillers juridiques qui se déroulent à Hambourg et les ateliers régionaux qui sont organisés dans le monde entier complètent les programmes de stages, de boursiers Nippon et l’Académie d’été. Pourquoi est-il important, selon vous, que le Tribunal dispense ces programmes de formation ?

Dès l’origine, le Tribunal s’est mobilisé afin de promouvoir le règlement pacifique des différends relatifs au droit de la mer, non seulement par l’exercice de sa compétence judiciaire ou consultative, mais également par la diffusion d’informations et l’organisation de programmes de renforcement des capacités à l’intention des générations actuelles et futures. J’estime que ces programmes sont très importants. Les participants reçoivent notamment un enseignement sur le mécanisme de règlement des différends institué par la Convention sur le droit de la mer, le rôle du Tribunal, ses procédures et sa jurisprudence. J’ai participé à plusieurs ateliers régionaux ainsi qu’à des ateliers pour conseillers juridiques, et je considère qu’ils ont été très utiles. À titre d’exemple, ils ont servi à dissiper un malentendu répandu, qui est que si un État Partie ne fait pas de déclaration écrite pour choisir un ou plusieurs modes de règlement des différends sous le régime de l’article 287 de la Convention, les autres Etats Parties ne pourraient pas, ou seraient moins enclins à soumettre un différend avec cet Etat à une cour ou un tribunal. En réalité, un État Partie qui n’a fait aucun choix est réputé avoir accepté un arbitrage en vertu de l’Annexe VII, qui est le mécanisme obligatoire par défaut. J’ajouterai qu’il est d’autant plus important d’organiser ces ateliers que le personnel des administrations étatiques change très régulièrement. 

Renforcement des capacités

Les programmes organisés par le Tribunal à l’intention de représentants gouvernementaux se sont poursuivis cette année avec le seizième atelier régional sur le thème « Le rôle du Tribunal international du droit de la mer dans le règlement des différends relatifs au droit de la mer », qui s’est tenu à Nice (France) au mois de juin, et le deuxième atelier du TIDM pour conseillers juridiques (parrainé par la République de Corée) en juillet, qui a accueilli au Tribunal des participants des pays suivants : Afrique du Sud, Angola, Botswana, Cameroun, Comores, Congo, Eswatini, Gabon, Guinée Équatoriale, Kenya, Lesotho, Madagascar, Malawi, Maurice, Mozambique, Namibie, République démocratique du Congo, République-Unie de Tanzanie, Seychelles, Zambie et Zimbabwe.

Nous sommes à mi-parcours de la 17e édition du programme TIDM-Nippon Foundation de renforcement des capacités et de formation en matière de règlement des différends relatifs à la CNUDM, qui réunit des boursiers venus des Îles Salomon, du Malawi, de Maurice, du Mexique, du Pérou et de la Türkiye. Après avoir participé à l’Académie d’été du TIDM, les boursiers ont assisté à une dense série de conférences, d’ateliers et de visites, et viennent de visiter la Fondation Max Planck pour la paix internationale et l’état de droit à Heidelberg, où ils ont suivi une formation spécialisée au règlement des conflits. 

En ce qui concerne le programme de stages, des stagiaires originaires d’Albanie, d’Espagne, des États-Unis d’Amérique, du Japon, du Liban, de Maurice et du Panama, ont rejoint le Service juridique et le Service de presse au cours des derniers mois, où des tâches importantes pour leurs départements respectifs leur ont été confiées, mais où ils ont également effectué des recherches de leur propre choix sur des sujets aussi divers que « L’équilibre entre l’équité et la sécurité juridique dans la délimitation des frontières maritimes » et « La gestion des débris marins : résoudre le problème anthropogénique sur la base de la CNUDM de 1982 ».

 

À la rencontre des anciens

Lydia Ngugi, Responsable du Centre de coopération technologique maritime pour l’Afrique, Kenya

Après avoir obtenu ma maîtrise de droit à l’Institut de droit maritime international de l’OMI à Malte, en 2014, j’ai eu l’honneur d’être sélectionnée pour le programme de stage du TIDM en 2015. Pendant mon séjour à Hambourg, j’ai eu l’occasion de comprendre les aspects pratiques du droit de la mer, en observant les différends relatifs à la délimitation des frontières maritimes et à la protection du milieu marin, et en appréciant les recherches détaillées menées par les États respectifs. Quelques mois après la fin de mon stage, j’ai eu l’occasion de travailler pour une université qui soutient la formation des ingénieurs maritimes au Kenya. Grâce aux connaissances acquises durant mon stage et à l’expérience pratique que j’avais déjà accumulée en tant que responsable de la conformité maritime dans une entreprise de construction de navires au Kenya, j’ai été chargée de donner des cours aux étudiants en génie maritime sur les principaux aspects des conventions de l’OMI. J’ai également eu l’occasion de fournir des conseils à l’OMI et à d’autres organisations internationales à ce moment-là. Quelques années plus tard, début 2020, j’ai rejoint le Centre de coopération technologique maritime pour l’Afrique (CCTM) en tant que directrice de l’Organisation. Le CCTM Afrique est l’un des quatre centres mis en place par l’OMI en Afrique, dans les Caraïbes, dans le Pacifique et en Asie pour renforcer les capacités d’atténuation du changement climatique dans les secteurs de la navigation et de l’industrie maritime. Au CCTM Afrique, je suis chargée de veiller à ce que les États membres africains de l’OMI aient la compréhension nécessaire de l’annexe VI de Marpol, qui porte sur l’atténuation de la pollution atmosphérique, tout en évaluant la région sur la ratification et la transposition de cette annexe. Le CCTM Afrique et l’OMI travaillent en étroite collaboration pour mettre en œuvre des projets pilotes stratégiques tels que l’amélioration de l’efficacité énergétique dans les infrastructures portuaires afin de soutenir la décarbonisation, conformément à la stratégie de l’OMI en matière de gaz à effet de serre. La formation que j’ai reçue au TIDM m’a bien sûr permis de relier la recherche juridique à des voies d’application pratiques, mais ce n’est pas tout. L’interconnectivité maritime mondiale des anciens élèves du TIDM est inestimable et c’est toujours un plaisir d’interagir avec des personnes qui partagent les mêmes idées et qui ont bénéficié des programmes de formation du TIDM.