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Lettre d'information 2019/4

Novembre 2019

Introduction

Nombreux sont nos lecteurs qui savent que le 25e anniversaire de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer approche. Les anniversaires donnent souvent l’occasion de revenir sur les réalisations du passé, et l’anniversaire du premier quart de siècle d’existence de la Convention est un bon moment pour se livrer à cet exercice, pour évaluer la marche de la procédure de règlement des différends au fil du temps.

C’est justement cela que m’ont permis de faire deux manifestations stimulantes ces dernières semaines. La semaine dernière, je participais à une table ronde sur le thème « The ICJ and ITLOS – Is there a place for judicial dialogue? », dans le cadre de la Semaine du droit international à l’ONU, organisée à New York par les missions permanentes de la République de Corée, de la République de Singapour et de la République slovaque. Cette manifestation suivait de près une conférence organisée à Hambourg au Tribunal à la mi-octobre par la Hamilton Lugar School of Global and International Studies, l’Université d’Hambourg et la Fondation internationale pour le droit de la mer pour marquer l’anniversaire de la Convention et évaluer sa vitalité.

À mon avis, la Convention a réussi à faire régner l’état de droit parmi les États sur tous les océans du monde, et à garantir que justice puisse être rendue pour tous les États, qu’ils soient grands ou petits, forts ou faibles, développés ou en développement. Lorsque je considère le système exhaustif de règlement des différends établi par la Convention – l’une des grandes réussites de la troisième Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer – j’ai le sentiment qu’elle a joué un rôle significatif à cet égard, et c’est là que les discussions menées à la manifestation de New York étaient si pertinentes. Car, pour répondre à la question de savoir si la partie XV a ouvert la voie à la fragmentation ou à la fertilisation du droit international, j’ai eu le plaisir de noter que les décisions des deux organes permanents du système de la partie XV se renforcent mutuellement, en particulier dans le domaine de la délimitation maritime et du droit international de l’environnement. Ensemble, le Tribunal et la Cour contribuent à former un cadre cohésif de gouvernance des océans, qui y renforce l’état de droit au lieu de l’abolir, ce qui est précisément l’objectif que les rédacteurs de la Convention ont cherché à atteindre.

La conférence de Hambourg posait la question suivante : « How healthy is the ocean’s constitution? » Comme je l’ai dit dans mon discours liminaire à cette conférence, j’estime que le régime juridique instauré par la Convention a très bien réussi à promouvoir la primauté du droit en mer. Le régime de la Convention est solide et cependant suffisamment souple pour accueillir les modifications nécessaires – comme le montre le fait que, depuis son entrée en vigueur deux accords d’application supplémentaires ont été adoptés et qu’un troisième est actuellement en cours de négociation. J’ai le plaisir de vous annoncer qu’au cours des deux jours que ces exposés et débats extrêmement intéressants ont duré, des orateurs et experts du monde entier sont tombés d’accord sur le fait que la Convention a bien résisté à l’épreuve du temps et qu’elle est encore valide aujourd’hui.

La procédure de règlement des différends instaurée à la partie XV peut sembler un peu compliquée, car les États qui n’ont pas fait une déclaration conformément à l’article 287 ou ceux qui n’ont pas accepté la même procédure de règlement sont automatiquement orientés vers le mécanisme par défaut de la procédure d’arbitrage prévue à l’annexe VII. À ce propos, la dernière affaire soumise au Tribunal, qui concerne la délimitation de la frontière maritime entre la République de Maurice et la République des Maldives dans l’océan Indien, montre bien comment d’autres voies sont ouvertes aux États qui cherchent à régler pacifiquement leurs différends. Aucun de ces deux États n’ayant fait une déclaration conformément à l’article 287, une procédure arbitrale a été engagée en vertu de l’annexe VII par Maurice en juin de cette année. En septembre, les Parties sont convenues de conclure un compromis pour transférer cette procédure devant le Tribunal. C’est la troisième fois qu’une affaire de délimitation maritime est portée par voie de compromis devant le Tribunal ou une chambre spéciale du Tribunal, et c’est la cinquième fois qu’une procédure arbitrale est transférée devant le Tribunal. La chambre spéciale formée par le Tribunal avec l’assentiment des Parties a été constituée conformément à l’article 15, paragraphe 2, du Statut du Tribunal et se compose de sept juges du Tribunal et de deux juges ad hoc choisis par les Parties.

Le fait que deux États aient une fois de plus choisi de conclure un compromis conférant compétence au Tribunal souligne le rôle que ce dernier peut jouer en tant qu’organe juridictionnel mondial investi du mandat spécifique du règlement des différends relatifs au droit de la mer entre les États Parties à la Convention. Comme il est l’unique institution judiciaire permanente que la Convention a créée, il a l’obligation d’agir comme le gardien judiciaire de l’ordre juridique des océans. Le Tribunal est bien conscient de son rôle : avec ses décisions et sa jurisprudence raisonnées, il s’est consciencieusement acquitté de sa fonction et continuera de le faire à l’avenir.

Très cordialement,

Le Président

Jin-Hyun Paik

Entretien avec Ximena Hinrichs Oyarce, Greffière du Tribunal

De quelle expérience disposez-vous pour occuper le poste de Greffier ?

Après avoir obtenu mon diplôme de droit de l’Université de Concepción, au Chili, j’ai décidé tôt dans ma carrière de me spécialiser dans le droit de la mer et je me suis inscrite aux programmes de maîtrise et de doctorat de l’Université d'Hambourg. C’est dans ce dessein que j’ai écrit ma thèse de doctorat sur le sujet de la zone économique exclusive et la pratique des États latino-américains, sous la houlette du professeur Rainer Lagoni, en m’inspirant de la contribution que le Chili et d’autres États latino-américains avaient faite à l’établissement de cette nouvelle zone maritime. J’ai commencé à écrire ma thèse alors que l’avenir de la CNUDM était encore incertain, mais fort heureusement, avant que je ne termine ma thèse, la Convention est entrée en vigueur, en novembre 1994. J’ai ensuite eu la possibilité de continuer à m’intéresser au droit de la mer et aux questions maritimes à l’Organisation maritime internationale (OMI), où j’ai travaillé sur un projet d’évaluation des implications pour l’OMI de l’entrée en vigueur de la Convention.

Je suis arrivée au Tribunal en avril 1997, à un poste de juriste adjoint, et j’y ai gravi les échelons pour arriver, au fil du temps, à des postes de direction, dont celui de Chef du service juridique et de Greffière adjointe. Cette expérience m’a apporté une connaissance en profondeur des procédures devant le Tribunal, de sa jurisprudence et de son fonctionnement administratif. Ma récente nomination en tant que Greffière est donc l’apogée de plus de 20 années de travail au Tribunal. Si je regarde en arrière, je n’aurais jamais imaginé au début de ma carrière que je serais un jour nommée aux plus hautes fonctions, celles de Greffier. J’en suis donc honorée, et je suis reconnaissante aux juges du Tribunal pour la confiance qu’ils ont placée en moi.

Lorsque j’en ai le temps, je cherche à entreprendre d’autres activités. Pour diffuser les connaissances concernant le droit de la mer, les procédures de règlement des différends et les travaux du Tribunal, je m’engage régulièrement dans des activités universitaires, des projets de publications et je participe à des conférences.

Quel est le rôle du Greffier ?

Le Greffier est le chef du Greffe, lequel apporte un appui fondamental au fonctionnement du Tribunal et à ses travaux. Sous le contrôle du Président, le Greffier organise les procédures judiciaires et se tient à cet effet en contact avec les parties aux affaires, suivant les règles de procédure du Tribunal. Avec l’aide du Greffe, le Greffier gère aussi l’appui juridique et administratif aux travaux judiciaires du Tribunal et à ses sessions semestrielles. Le Greffier assure la liaison avec les États Parties à la Convention, il établit des documents pour la Réunion des États Parties et leur envoie toute notification pertinente. En tant que chef du Greffe, le Greffier est responsable des travaux administratifs du Tribunal et de sa gestion financière. Le Greffier contribue aussi à entretenir les relations avec le pays hôte ainsi qu’avec d’autres organisations et organes internationaux.

Selon vous, quelles sont les occasions qui se présenteront au Greffe et les difficultés qu’il devra affronter ?

Avec seulement 38 fonctionnaires, le Greffe est de taille plutôt modeste. Il est toutefois bien organisé et fournit des services optimaux au Tribunal et aux parties aux affaires. Je souhaite ici saluer le dévouement et le dur travail de l’ancien Greffier, M. Philippe Gautier, qui ont grandement contribué à cet état des choses. Je souhaite continuer dans cette voie, tout en développant mon propre style managérial. Avec pour objectif une prestation de services optimale, j’ai l’intention de favoriser une bonne organisation du travail, un déroulement sans heurts des processus et l’exécution dans les délais impartis des tâches au sein du Greffe. Il est également essentiel de faciliter le dialogue et de créer un solide esprit d’équipe. Restons conscients du fait qu’un Greffe efficace et performant peut être un atout pour le Tribunal lorsqu’un État envisage de le saisir d’une affaire.

Conférences et manifestations

Le juge Heidar a prononcé un discours liminaire sur le thème « IUU fishing and the ITLOS advisory opinion » au colloque judiciaire de l’Agence des pêches du Forum des îles du Pacifique intitulé « Responsibility in fisheries », à Honiara (Îles Salomon), le 5 août 2019. En sa qualité de Président de la Chambre pour le règlement des différends relatifs aux pêcheries, le juge Heidar a exposé comment l’avis consultatif de 2015 rendu à la demande de la Commission sous-régionale des pêches détaillait les responsabilités des États côtiers et des État du pavillon dans la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée à l’intérieur de la zone économique exclusive.

À la conférence sur le droit de la mer intitulée « New developments in the law of the sea and the role of ITLOS », organisée conjointement par la République de Corée et le TIDM et tenue les 20 et 21 août 2019 à Séoul, le Président Paik a prononcé un discours liminaire. Le Vice-Président Attard ainsi que les juges Kateka, Heidar et Lijnzaad et la Greffière Hinrichs Oyarce y ont participé à des tables rondes, qui portaient sur les changements climatiques, la biodiversité marine, l’exploitation minière des fonds marins et le règlement des différends.

Le Président Paik a prononcé un discours liminaire intitulé « The role of the International Tribunal for the Law of the Sea in the settlement of disputes related to the law of the sea: Current trends and other developments » à un forum spécial tenu en marge de la 7e conférence bisannuelle de la Société asiatique de droit international (AsianSIL) à Quezon City (Philippines) le 22 août 2019.

De retour à Hambourg, à la conférence organisée à l’occasion du 25e anniversaire de l’entrée en vigueur de la Convention par la Hamilton Lugar School of Global and International Studies, l’Université d’Hambourg et la Fondation internationale pour le droit de la mer, le Président Paik a prononcé l’allocution d’ouverture et le juge Heidar a participé à une table ronde sur le thème « Ocean jurisprudence and dispute resolution ».

Renforcement des capacités

Programme TIDM-Nippon Foundation de renforcement des capacités et de formation sur les mécanismes de règlement des différends relatifs à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer

Après avoir participé en août à l’académie d’été de la FIDM, les boursiers, à savoir Nayef Isa Alshaikh (Bahreïn), Balmaceda Paula Constanza Aida Nuno (Chili), Meles Jean-Raoul Esmel (Côte d’Ivoire), Joshua F. Benn (Guyana) et Deima Savukynaite (Lituanie), ont commencé à assister à leur série de conférences, qui portent notamment sur les sujets suivants : les sources du droit international et la CNUDM ; le règlement des différends internationaux ; la responsabilité de l’État ; le règlement des différend en vertu de la Convention ; les limitations et exceptions de la partie XV ; la procédure arbitrale ; la conciliation ; la jurisprudence du TIDM ; la gouvernance des océans ; la responsabilité de l’État à raison d’activités conduites dans la Zone et d’activité de pêche menées dans la ZEE d’autres États ; l’Accord sur les stocks de poissons et les ORGP ; le droit international de la pêche ; le rôle des ORGP et de la CCAMLR ; les principes environnementaux et le TIDM ; et la protection du milieu marin. Des exercices de formation pratique sur le rôle des hydrographes et l’utilisation des cartes, les négociations et la rédaction juridique, ainsi que sur la présentation d’exposés donnent aux boursiers la possibilité de perfectionner leurs compétences dans ces domaines. Un voyage à la Cour internationale de Justice et au Centre GEOMAR Helmholtz de recherches océaniques de Kiel viennent compléter leur emploi du temps chargé.

Programme de stage

Après trois mois de stage au Tribunal, Mariam Mgeladze (Géorgie), Aref Shams (Iran), Carlos Cruz Carrillo (Mexique) et N’kouleté Yaovi Kpadenou (Togo) sont repartis en septembre, non sans avoir fait un exposé de clôture sur leurs sujets de recherche, respectivement intitulés « Some legal issues related to freedom of navigation in the Black Sea region », « Climate emergency and legal uncertainty: ITLOS advisory opinion on climate change and oceans », « A legal analysis of utilizing icebergs for freshwater » et « Le renforcement du dispositif juridique de la Convention relative à la coopération en matière de protection et de mise en valeur du milieu marin et des zones côtières de la région de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, 23 mars 1981 (Convention d’Abidjan) ». Les stagiaires du groupe actuel, à savoir Wenlan Yang (Chine), Maximilian Blasek (Allemagne), Anita Rayegani (Canada/Hongrie) et Wendy Okun (Kenya), sont arrivés en octobre et ils travaillent au Service juridique et au Service de presse.

Académie d’été de la Fondation internationale du droit de la mer

Nous félicitons les 41 participants originaires de 28 États qui ont achevé avec succès le programme de la 13e Académie d’été de la FIDM, intitulée « Promoting ocean governance and the peaceful settlement of disputes ».

Ateliers régionaux

L’atelier de Montevideo se tiendra les 13 et 14 novembre 2019.

A la rencontre des anciens

Mme Margareth Galho (boursière du programme ITLOS-Nippon 2011-2012), directrice générale de Margareth Galho & Associados 

Il ne fait aucun doute que mon expérience au TIDM a eu une énorme influence sur mon mental, mes objectifs et ma carrière.

En ma qualité de Conseillère juridique principale de la Commission nationale de l’Angola, mandatée pour traiter de la délimitation maritime de ce pays, je devais conseiller le Gouvernement sur diverses questions relatives au droit de la mer. Il s’agissait entre autres du rôle du Tribunal, du règlement des différends prévu par la CNUDM et du développement de la jurisprudence internationale dans ce domaine. Le programme TIDM-Nippon m’a donné l’occasion idéale de développer mes compétences dans ces domaines, et j’ai eu la chance d’être sélectionnée pour participer en tant que boursière à ce programme, qui a modifié ma conception du règlement judiciaire et du rôle de la CNDUM dans le règlement des différends. 

De retour en Angola, j’ai d’abord continué à être membre de la délégation angolaise à la Réunion des États Parties à la Convention. Quelques années plus tard, j’ai décidé de rejoindre la compagnie pétrolière nationale, SONANGOL, et de travailler dans sa filiale de transports maritimes en raison de mes compétences en matière de règlement des différends relevant de la CNDUM et également parce que j’étais au fait de questions concernant le plateau continental. En même temps, j’ai mis à jour ma thèse et je l’ai publiée sous le titre « The West Africa maritime boundaries ». En 2017, j’ai fondé le cabinet juridique agréé « Margareth Galho & Associados ». Après avoir travaillé dur et déployé bien des efforts, ce cabinet a commencé à se développer et à se tailler une réputation sur le marché.

Depuis, bien des choses se sont passées : une femme qui travaille dans le secteur maritime se heurte à d’énormes obstacles partout dans le monde. Le fait d’être jeune et d’être une femme a toujours été considéré comme un handicap parmi les praticiens du droit en Angola, où l’âge et l’expérience imposent le respect. J’ai compris que si je voulais jouer dans la cour des grands, il fallait me faire une réputation et la développer à la fois sur le marché local et sur les marchés internationaux. Je suis donc d’abord devenue membre du groupe de femmes le plus influent de ce secteur, la WISTA – Women in International Shipping and Trade Association, et du « meilleur élève » de l’Afrique dans ce domaine, la WIMA – Women in Maritime Africa, puis présidente de la WISTA en Angola et conseillère de la WIMA. En cette qualité, j’ai participé à la conférence intitulée « Empowering women in the maritime community » à l’Université maritime mondiale à Malmö en avril 2019, où je me suis jointe à plus de 350 personnes originaires de plus de 70 pays pour traiter de la question de la discrimination à l’encontre des femmes dans le secteur maritime, les industries de la mer, les industries portuaires, les pêcheries et les secteurs apparentés. 

Le fait de travailler sur un marché de niche dans le secteur maritime, qui est dominé par les hommes, m’a déterminée à privilégier non pas la croissance interne, mais la qualité, le savoir-faire et les services à nos clients. Mon projet le plus récent concerne l’organisation de séminaires annuels en Angola sur le thème « The legal and technical aspects of the maritime industry and the law of the sea ». Les premiers séminaires ont eu lieu à Luanda, à l’ITEL – Telecommunication Institute et au Rangel CTT, ainsi qu’à Talatona, à l’ISPTEC – SONANGOL Institute, les 22 et 25 mars 2019, respectivement. Les séminaires suivants se tiendront en principe les 24 et 25 mars 2020.

J’ai réalisé que le TIDM avait changé ma vie : je m’intéressais initialement surtout à la délimitation maritime, aux lignes de base et au plateau continental, mais d’autres sujets, comme la prompte libération de navires, ont fait surface et sont ensuite devenus très importants lorsque j’ai rejoint la compagnie pétrolière nationale angolaise. Qu’il s’agisse d’immobiliser des navires en Angola ou ailleurs ou de gérer la charge de travail du cabinet, où de jeunes avocats et des auxiliaires juridiques doivent être formés et où les avocats principaux ont besoin d’une assistance exclusive, mon expérience au TIDM m’a toujours été utile. Et je savoure toutes les occasions que j’ai de participer à des conférences et de faire des exposés, comme les exposés que j’ai récemment prononcés devant les boursiers et les stagiaires du TIDM.

Manifestations à venir

14ème atelier régional du TIDM, Montevideo, 13-14 novembre 2019